Deux ans de cambrousse, ça me fait aussi redécouvrir Nancy. J’y viens souvent, mais je ne fais toujours que passer. Mais quand j’ai le temps, je reprends le goût, maintenant qu’elle n’est plus la quotidienne, à parcourir ses lieux. Des lieux connus depuis mon enfance, chargés d’histoires. De tas d’histoires. Les rues ont des visages, les leurs, ce qu’elles inspirent, et puis les visages des gens, tous les gens qui ont traversé ma vie, à Nancy. Les quartiers ont leurs couleurs, aussi. De l’enfance, de l’adolescence, de l’Université, des boulots, des amis, les nouveaux, les anciens. Chaque banlieue a ses liens avec moi. Plus ou moins. Maxéville, Malzéville, Vandœuvre ont mon affection. Essey et Saint-Max sont mon lot, en tant qu’habitant à l’Est de Nancy. Villers a mon enfance.
L’attachement, quoi. La relation intime avec une ville comme celle qu’on aurait avec une belle personne, débarrassée des considérations politiques, des fiertés absurdes, des rodomontades idiotes, des intérêts collectifs et particuliers, des diktats patrimoniaux et des meurtres urbanistiques. C’est juste la simple relation profonde, exclusive, tendre qu’on entretient avec la ville, dans une bulle, sans les autres. Comme dans la chanson que les gens de mon âge ont tous vécue à l’époque dans leur chair si ils sont tombés amoureux d’un gars ou d’une fille au même moment que de leur ville, au petit matin, quand le jour est timide et que le macadam commence déjà pourtant à vriller sous la chaleur. Et quand on est amoureux, on prend tout, le bon et le mauvais, le beau et le moche. On ne négocie pas.
Tout ceci n’a rien à voir avec la beauté, avec le patrimoine. C’est de l’histoire-géographie intime. Une chose qu’on peut raconter, sans jamais parvenir à la faire complètement comprendre. C’est pour ça que, non, aujourd’hui, pas de photos de la Vieille Ville, de la Place Stanislas, qui sont des endroits que j’admire, mais qui véhiculent bien moins de choses pour moi que la cradingue rue du Lavoir Saint-Jean contemporaine, ou le collège-lycée Chopin, auquel je dois beaucoup, là où j’ai rencontré la «vieille garde» d’amis inoxydables que je me trimballe depuis des années, nonobstant l’éloignement, parfois même avec un océan comme obstacle…
Je reprends ainsi, alors que je ne l’habite plus, ce plaisir à la parcourir des heures, Nancy, donc à parcourir ma vie, sourire aux lèvres, en dilettante, sans but. Comme quand j’avais quinze piges et que ma curiosité engloutissait rues et quartiers les uns après les autres. Et les gens, et les amis, et moi, nous continuons d’enrichir nos histoires de nouveaux lieux, et c’est chouette, parce que ça n’aura de fin qu’avec la nôtre. Ou celle de Nancy.
